"A janela, vê-se o Corcovado..."

Publié le par Manou

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                                   « A janela, vê-se o Corcovado…. »

C’est bientôt Noël. A Cantagalo, les nuits sont chaudes, aussi chaudes que les jours.  

« J’aimerai tant passer le réveillon avec Abiel sur la plage d’Ipanema ! Danser. Oh oui, danser ! C’est toi « pouco malandro »*qui m’empêche de dormir, c’est toi qui danse dans mon ventre. Encore un mois. Vivement que je me débarrasse de toi « pouco malandro » ! Pardon, Seigneur Jesus, pardon ! Il en faut des “bastardos”pour vivre, pour acheter un frigo, la télé et payer les études d’Abiel. Lui, mon Abiel, il vivra à Ipanema, lui il sera ...”

 Tom Jobim chante le reveil. « « A janela, vê-se o Corcovado… »**

-Ab-pequeno, il est 6h ! Éteins-moi cette radio !

Tom Jobim enchaine. « O Redentor, que lindo… »**

-Ab-pequeno, tu éteins ou je me lève ! Qu’est ce que tu fais debout à cette heure ?

-J’attends Shaggy !

Je me suis levée malgré le poids de « pouco malandro » et j’ai poussé la porte de la chambre de mon unique fils, mon Abiel. Il a choisi la musique, lui,  pour tout me dire.  

-Abiel ! C’est quoi ça, sur ton lit ?… de la drogue! …Et ça, c’est quoi ça ? Je n’en veux pas ici, pas à la maison !... Qui t’as donné cette mitraillette ?

-Mama, va te coucher. Ca, c’est un AR-47. C’est à moi ! Je l’ai acheté à Matias.

-Ab-pequeno, je t’interdis…je t’interdis….je veux pas…

-Mama, calme toi, c’est mauvais pour le bébé. Tu te rends compte, tous ces frères et sœurs que je ne connais pas. T’en a fait combien pour que ton fils sorte de la « morro de Cantagalo »***. Mama, faut arrêter de rêver ! 3 ans que je repasse le bac. A l’université, ils ne veulent pas de nous. Tu sais ce que ça veut dire Corcovaldo, Mama ? LE BOSSU ! Une vraie blague Mama, ton Cristo Retendor, il laisse ses enfants dans la misère ! J’en peux plus de la misère, Mama. J’en veux plus !

-Ab-pequeno pas les gangs/pas les gangs…je veux pas les gangs !   Je t’en supplie !

-Mama regarde moi, dans la favela si tu pars t’es mort et si tu restes t’es mort aussi…tu te rappelles ? Ab-pequeno c’est fini.  Je vais te ramener de quoi vivre !

Coup de pied dans la porte d’entrée.

-Voila Shaggy ! Arrête de pleurer ! Mama.

Shaggy. Le fils d’Angelina, Shaggy un gars du « ADA »****. Il a envahit mon salon, le torse bardé par deux mitraillettes.

-Speed Abiel, ce con de Bené a du s’endormir ! Les cafards du B.O.P.E***** sont déjà là. Aller, aller viens, on va les éclater ! Ce soir y aura de la viande dans la soupe !

-Ab-pequeno !

-…

Le soleil levant s’infiltre dans les ruelles de Cantagalo.

Néto, Matias, Bené, Shaggy et maintenant Abiel dévalent les marchent à contre jour. Des hommes en noirs, armés, venus de nulle part les coursent.

Alors je me suis plantée au milieu de la ruelle pour protéger mon fils de tout mon corps de Maman et pour le voir encore. Un homme en noir  m’a projeté contre le mur bleu de la maison.

- Pousse toi, la folle, rentre chez toi !

Les eaux de mon ventre se sont misent à couler le long de mes jambes. C’est le «pouco malandro » qui se rebelle. Il mouille ma robe à fleurs, ma robe à fleurs qui retrouve ses couleurs des premiers jours. C’est finit ! J’en veux plus de la misère, je veux plus de « bastardos » ! Je veux qu’Abiel revienne, je veux partir de la « morro de Cantagalo ». Je veux que les cafards de la B.O.P.E. épargnent mon fils !

Je suis rentrée chez moi, je me suis m’allongée sur son lit, j’ai déchiré un paquet de poudre blanche. Je m’en suis mis plein les narines, plein la bouche et sur ma vulve fatiguée de tous ces « bastardos » et pour que « pouco malandro » se calme.

 A la radio, Chico Buarque chante.  «… là tem Jesus/E esta de costas… »******

Jésus est là, il est de retour, il me regarde, il sait et sa tête explose en bouillon de couleurs.

 

Lexique :

*Pouco malandro : petite crapule

**A janela vê-se o Corcovado/O retendor… : de la fenêtre vous pouvez voir le Corcovado/le rédempteur…

*** La morro de Cantagalo : la colline de Cantagalo, favela du ‘chant du coq’ 

****ADA : amigos dos amigos : nom d’un gang  

*****B.O.P.E : groupe d'intervention d'élite de la police militaire de l'État de Rio de Janeiro au Brésil.

******Là tem Jesus/ E esta costas : il ya Jésus / Et il est de retour

 

Publié dans humeur de plume

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